Lou REED est mort.
C’est l’heure pour les disquaires de ressortir en rayon les grands classiques que sont TRANSFORMER, BERLIN sans oublier l’incontournable BEST OF.
C’est bien triste.
Ne serait-ce pas le rôle d’un disquaire digne de ce nom, de profiter de l’occasion de la disparition de cet immense artiste, pour faire découvrir d’autres enregistrements de Lou REED ?
Bien sûr, j’adore TRANSFORMER, et j’avais acheté à l’époque de sa sortie le BEST OF avec les célèbres photos polaroïd de Lou et de sa mythique compagne Rachel, pour le seul inédit de l’album, NOWHERE AT ALL issu des sessions de CONEY ISLAND BABY.
Mais le vrai Lou REED ne se cache-t-il pas ailleurs ?
Pourquoi, me direz-vous, parler sans cesse du LED ZEPPELIN II alors que l’on a sous la main la mine d’or que représente PHYSICAL GRAFFITI ?
Pourquoi user DARK SIDE OF THE MOON quand il y a des galettes comme MORE ou UMMAGUMMA, dix fois supérieures ?
En tant que chef du rayon « musique internationale » à la FNAC (c’est comme ça qu’on dit aujourd’hui), je pense qu’il aurait été beaucoup plus judicieux de retenir 3 autres disques de Lou REED, 3 disques magnifiques, incroyablement riches et surtout quelque peu méconnus du grand public ou de ceux pour qui, la musique de Lou REED se résume à WALK ON THE WILD SIDE, SWEET JANE ou VICIOUS.
Ces 3 pépites ont toutes été conçues entre 76 et 78 :
CONEY ISLAND BABY, ROCK AND ROLL HEART et surtout STREET HASSLE.
J’ai choisi aujourd’hui, pour rendre un dernier hommage à Lou REED, cet album sorti fin 76 et intitulé ROCK AND ROLL HEART.
C’est un disque que j’ai toujours adoré, et je l’ai écouté des dizaines de fois sans jamais m’en lasser. L’album aurait du s’appeler NOMAD.
Le contexte de cet album est assez complexe et la vie de Lou REED à cette époque est des plus hasardeuse. Sur le plan personnel, il vient de se séparer de sa compagne, un transsexuel nommé RACHEL; sur le plan de ses affaires, il vient de terminer une série de procès avec Denis KATZ son ex avocat et manager, qui l’a contraint à quitter RCA et signer avec le label de Clive DAVIS, ARISTA ; enfin sa santé n’est pas au mieux du fait de sa consommation exagérée en drogues et speed de tous genres, auxquels il faut ajouter sa récente attirance pour l’alcool. Ses fréquentations d’alors sont très controversées et contribuent un peu plus à le faire plonger dans cette vie de paumé New-yorkais, qu’il dépeint si brillamment dans ses chansons.
Pourtant le récent succès de CONEY ISLAND BABY, mon album préféré, lui a redonné l’envie de composer et surtout sur des thèmes un peu plus optimistes.
Il est vrai que les sorties de SALLY CAN’T DANCE et surtout celle de METAL MACHINE MUSIC se sont avérées catastrophiques pour son image et la presse ne s’était pas gardée de crier haut et fort que le personnage de Lou REED n’était plus qu’une caricature de lui-même, et ses déclarations superflues, voire imbéciles.
ROCK AND ROLL HEART fut pourtant une belle réussite personnelle pour Lou REED ; il signe tous les titres, joue toutes les guitares, mixe et produit l’album.
Le son est carrément fantastique. Il y a sur le vinyle une puissance et une présence des instruments sur lesquelles la voix de REED est admirablement mise en valeur.
Comme toujours, pour qu’un album soit réussi, il faut les 2 ou 3 chansons qui servent de locomotives et ici, ce sont LADIES PAY, YOU WEAR IT SO WELL et VICIOUS CIRCLE.
C’est du très grand Lou REED sur ses titres.
LADIES PAY est sans doute une de ses plus belles chansons, que la plupart des gens ignorent. La partie de piano fait penser à BECAUSE THE NIGHT, pas encore écrit en 76, et le solo de guitare de Lou REED nous prouve qu’avec les 3 accords qu’il connaît (c’est lui qui le dit), il est capable de faire sonner une guitare comme personne et nous faire vibrer intérieurement. Quant à sa voix, avec son style « chanté, parlé », elle est carrément superbe.
Pour une fois, il prend le parti des femmes, celles qui sont abandonnées par les hommes et dont le sort est ingrat.
Patti SMITH lui disait d’ailleurs, à cette époque, quand elle l’entendait enregistrer en studio :
« Comment se fait-il qu’un salaud fini comme toi puisse faire une musique aussi belle ? »
VICIOUS CIRCLE est une ballade magnifique et là encore sa voix, chaude et fragile, quasi parlée, reste inimitable ; et c’est comme ça qu’on l’aime.
Enfin YOU WEAR IT SO WELL, où Lou s’adresse à quelqu’un qui cache bien ses secrets, avec les chœurs de son vieux pote d’université, Garland JEFFREYS, est également un des grands moments de l’album.
Le reste est très varié ; on y trouve BANGING ON MY DRUM, un rock style « waiting for my man », un jazz datant du Velvet, A SHELTERED LIFE, sur le même tempo que BEGINNING Of A GREAT ADVENTURE sur New York ; et toujours ce son d’un réalisme étonnant.
I BELIEVE IN LOVE et ROCK AND ROLL HEART feront hérisser les poils de ses vieux fans qui voulaient qu’il devienne un des représentant de la « punk attitude », alors que Lou a toujours nié son attirance pour ce mouvement naissant à cette époque.
SENSELESSLY CRUEL révèle une fois encore sa crainte et sa maladresse avec la gente féminine.
L’album se clôt sur un morceau autobiographique, TEMPORAY THINGS, sur un tempo lent et au climat lourd, où là, les femmes sont à nouveau traitées de « bitch », et à qui on demande de dégager vite fait, car ce ne pouvait être que du provisoire.
Les chansons sont souvent courtes et ne dépassent pas les 3 mn, à part LADIES PAY et TEMPORARY THINGS. L’album, à sa sortie, déroute quelque peu le public, mais dans l’ensemble sera bien accueilli.
La pochette nous laisse apparaître un Lou REED redevenu homme, sans ses éternelles lunettes noires, sans ses cheveux courts blonds peroxydés Son vernis à ongle noir également a disparu. C’est un nouveau Lou REED qui va partir en tournée mondiale, dans des petites salles, mais hélas le disque se vendra mal et il n’inclura qu’un seul titre dans son répertoire.
Il repartira bien vite en studio enregistrer le crucial STREET HASSLE, qu’il considère comme son vrai chef d’œuvre.
J-Luc

