Bonjour tout le monde et notamment celles/ceux que les contenus audio-numériques intéressent.
Le sujet a déjà été abordé dans différents posts mais il ne me semble pas déconnant d'en préciser quelques contours.
Des généralités qui, de et en fait, font se poser des questions dès lors qu'on se penche un peu sur le problème.
Désormais, tout un chacun a entendu parler de la Guerre Du Loudness (GDL).
L'avènement du numérique en audio, la création d'outils de plus en plus élaborés et financièrement accessibles, la "nomadisation" de l'écoute ont fait que le niveau sonore ressenti n'a fait que croitre depuis les années 90'.
S'en sont suivies toutes les conséquences audibles générées par ces manipulations numériques.
Si personne n'a le choix avec les œuvres contemporaines publiées, il n'en est pas de même avec les rééditions, parfois pas si vieilles que ça d'ailleurs.
A ce sujet, il faut savoir que RIEN n'est normé en audio. Ainsi, chaque maison d’édition, chaque artiste, bref chaque intervenant fait en gros ce qu'il veut, ou presque. Le seul domaine, encore et toujours, "normé" est celui du vinyle du fait des contraintes propres au support (RIAA, gravure, etc.), ce qui n’empêche pas les différences entre éditions parfois...
Dans notre monde d'audiophiles, on vit et on fait avec.
Mais, nous ne sommes pas les seuls à "écouter", il y a aussi les professionnels de la radio, télévision et cinéma!
Et eux, ils ont fini par ne plus l'entendre de la même oreille

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Comme tout le monde a pu le constater et afin de capter l’attention des spectateurs, les publicitaires, certaines chaînes de télévision et salles de cinéma compressaient leur signal audio afin de réduire la dynamique pour augmenter la sensation subjective de volume sonore tout en gardant le même niveau maximal dans le but de sonner plus fort que le concurrent. En gros, le contenu tient dans le contenant mais prend toute la place pour faire un boucan d'enfer. La Loudness War, ou GDL était née.
Les téléspectateurs, et pas que, devaient donc constamment ajuster le volume sonore pour éviter d’être surpris par les pubs.
Vous allez me dire que nous, quand on écoute de la musique, on n'est pas concerné par ce phénomène.
Ben si, quand même un peu. Parce que ce qui se faisait pour l’audiovisuel a vite été intégré à la publication audio. Un disque qui tape plus fort se remarque, surtout en écoute nomade.
En 2010, l’Union Européenne de Radiodiffusion (EBU) a décidé de mettre un peu d'ordre dans tout ça. La Norme EBU R128 est née.
Elle vise essentiellement à éliminer les variations de volume brusques et maintenir des niveaux sonores "constants".
Compressons, d'accord, mais de façon homogène tout de même!
Mais alors, quel rapport avec notre "monde audiophile" vous/me direz-vous?
Ne devrais-je pas écrire quels rapports par ailleurs?
Bien que ça n'intéresse que quelques "écouteurs" pas rebutés par des chiffres, le sujet mérite, à mon sens, qu'on y regarde d'un peu plus près.
Notre monde audiophile faisait référence, souvent, tout le temps, partout, à des décibels, aka dB.
Même si beaucoup, moi le premier, mélangeaient tout, le dB était (mal) connu mais très utilisé et commenté.
En fonction du domaine évoqué, le dB prend différentes déclinaisons, dBV, dBu, db A, B, C, même HL... Pas facile de s'y retrouver d'autant que les références diffèrent selon que l'on se place dans le monde PRO ou celui de la HiFi... alors que le premier "alimente" le second.
Quand le numérique a débarqué, est né le dB FS, "decibel Full Scale" (décibel pleine échelle). Pour que ce soit encore plus limpide, la grandeur que cette valeur (toujours négative) représente n'est pas la même selon qu'on se réfère à l'AES ou pas. Clair comme du jus de boudin cette histoire, non?
Pas le choix, faut faire avec!
Quand la norme EBU R128 a débarqué en 2010, est né le LUFS, “Loudness Units relative to Full Scale”. Comme si c'était déjà pas assez le brin comme ça! Par rapport au dB, le LUFS prend en compte la perception humaine du volume en se concentrant sur le volume perçu plutôt que sur les niveaux physiques.
En clair

, le LUFS permet de mieux représenter la manière dont nous entendons réellement le son, la musique... les pubs aussi

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Ne nous voilons pas la face, c'est pas si clair que ça, car des LU machin, il y en a quelques uns (Momentané, Court terme, Intégré). On en a déjà parlé.
De tout ça est ressorti un nouveau dB, le dB TP.
Et ça, nous autres audiophiles ou assimilés, ça nous concerne et intéresse au plus haut point.
Ce dB TP n'est autre qu'une variante du dB FS pour laquelle l'amplitude du signal inclut les crêtes
pouvant exister entre deux échantillons successifs du signal numérique. Ce niveau en dB TP peut donc
dépasser le niveau de référence de quelques dB.
Il mesure les crêtes les plus élevées dans le signal audio lors de la conversion numérique-analogique.
Et si on dépasse la valeur 0 (zéro), on se retrouve avec de la distorsion, phénomène plutôt indésirable en notre beau monde HiFi, non?
Il y a donc, depuis 2010, des recommandations pour éviter tout ça afin de ne pas gâcher la fête.
Et il est vrai que ça a calmé les ardeurs de certains éditeurs car les organismes de diffusion musicale ont fixé une valeur pour leur domaine.
Les plateformes diffusent, selon leurs critères, entre -8 et -16 LUFS, certaines imposant même une valeur précise maximum en dB TP.
On voit/mesure donc l'importance de tous ces chiffres, nonobstant les 0&1 musicaux concernés.
Tout ce fatras technique pour nous dire quoi, maintenant, à nous, écouteurs que nous sommes?!
Pour l'après 2010, le temps que tout le monde comprenne et fasse le job en fonction de ces LU et dB TP, on se doute qu'il y aura un effet (bénéfique?) pour le SON.
Mais avant 2010, avec la GDL et tout ça, les LU qu'on n'avait pas encore inventés, les dB TP dont on ignorait tout... ou presque, que s'est-il passé pour le SON?
En m'appuyant sur ce constat, et avec quelques outils d'analyse, je me suis penché sur l'évolution des niveaux sonores des parutions d'un artiste dont l'objectif premier n'était pas "de sonner fort", mais sonner juste.
J'ai analysé quelques enregistrements de Richard Galliano. Je vous livre quelques remarques, purement techniques comme il se doit:
- Richard Galliano - Spleen_1985-91 18.15; enregistré au feu Studio Davout, un niveau très bas de -18.15 LU, aucun dépassement du 0dB TP. La prudence était de mise en ces débuts du numérique. Une écoute typée années 80 sans aucune agressivité.
- Richard Galliano - Ballet Tango 1992 19.26; aucun renseignement sur l'enregistrement mais, là encore, un SON superbe qui met en valeur compositions et interprétation. Piazzolla et Galliano, du grand Art. Un niveau de -19.26 sur le disque laisse toute sa place aux nuances et à la dynamique.
- Richard Galliano - New York Tango_1996 16.48 -1.70; enregistré à NY, mixé à Ferber, masterisé à Top Master. Un SON très charpenté avec une basse très présente. On avait pris confiance avec le numérique. Le contenu tient dans le contenant. Le 0dB TP n'était pas encore connu. Pour ramener le niveau du CD en-dessous de ce 0dB TP, il aura fallu diminuer le tout de 1.70dB. On était dans les clous numériquement parlant mais plus du tout en analogique.
- Richard Galliano - Live in Marciac_2006 14.30 -3.00; si vous suivez un peu mes données chiffrées, vous savez que ce Live aura été très compressé. Un niveau RMS à -11.30 d'origine, ça tabasse un peu. Le 0dB TP n'était pas connu, la GDL battait son plein... conséquence, dépassement de presque 3dB du niveau analogique. J'ai donc abaissé d'autant pour calmer tout ça.
- Richard Galliano - Around Gershwin_2024 15.20; Un des derniers parus. Aucun dépassement numérique ou analogique. Toutes les pistes sont "nivelées" par le haut et on ne voit qu'une oreille à -1dBFS, pratiquement pareil en dBTP (HiRes oblige). Les recommandations de la R128 ont été suivies à la lettre. On a compressé dans les normes et utile.
Pour info, entre 2011 et maintenant, les publications sont dans les clous, certaines frisant toutefois le 0dBTP.
Avec l'exemple pris, on peut considérer que les éditeurs ont compris le sens de cette norme et de ses recommandations.
En règle générale, ici, le -16 LUFS est respecté à un chouia près. Une exception avec "Valse(s)" sorti en 2020. 0dBTP aux limites, OK, mais pourquoi compresser de beaux morceaux d'accordéon solo ainsi? -11 ou 12 LU apportent-ils un plus?
La GDL a donc fait des dégâts, entre 1995 et 2015, à la louche (je n'ai pas analysé que Galliano, vous l'imaginez bien).
Il y a des exceptions, dans un sens comme dans l'autre.
Et, si certains disques jouent fort, très/trop fort, des plages sont inévitablement sources de distorsions par dépassement de ce fameux 0dBTP.
Si les indications DR sont suivies, à quand des indications dB TP?
Merci aux concepteurs de la R218 d'avoir mis à jour tout ceci.
Merci aussi aux techniciens qui ne cèdent pas/plus à ce toujours plus sonore.
Sans oublier, bien entendu, celles et ceux qui auront lu ces lignes.