Salut,
Aussitôt sorti, aussitôt commandé ce coffret volume 3 des meilleurs enregistrements de chez Mercury des années 50 et 60, essentiellement entre 1957 et 1965. Bref, l'âge d'or de l'enregistrement classique... Entre les RCA, les Mercury et les DECCA de ces années, on est vernis. Plus besoin d'une platine vinyle avec vos LP12 et autres bidules savants pour ressentir avec un lecteur CD la chaleur et la présence de la musique.
Ce 3ème volume contient moins de pépites que les deux précédents, avec plus de compositeurs ou d'œuvres """de second plan""" que sur les deux coffrets précédents. Néanmoins, il vaut à mes yeux l'investissement. Pas donné, par contre.
L'un des avantages de cette collection en 3 volumes est de retrouver à peu près tous les meilleurs enregistrements de Paul Paray et d'Antal Dorati. Tout y est.
Je ne vous ferai de CR que sur 3 disques qui m'ont vraiment marqués:
1° Brahms, symphonies 1 & 3 par Dorati, respectivement 1959 et 1960, avec le LSO.
- symphonie n°1: elle peut déstabiliser d'entrée de jeu. Mais où sont les percussions fracassantes du début? Vers 1'40'' où elles sont normalement très présentes, on les entends à peine. Alors pourquoi cette sensation si agréable malgré tout? A cause de la lumière qui se dégage, pour moi. A 1'55'' les timbales roulent, mais toujours doucement... pas habitué... par contre le passage se termine par un accord de cordes à vous glacer, c'est un couperet. Ca y est, on entre dans le vif du sujet. Tuttis d'accords de cordes tranchants. Dorati semble tout miser sur ses pupitres de cordes. On en oublie nos interprétations favorites où les cuivres et les vents brillent de mille feux. Déstabilisant vous dis-je... Par contre, du coup, les critiques parues lors de la création de cette symphonie (critiques reprises aujourd'hui encore par les non-brahmsiens) qui accusent un orchestre lourd et indigeste s'effondrent comme un château de cartes. On est dans une vision plus romantique que ce que nos oreilles connaissent, Brahms étant peu ou prou le coup d'arrêt du romantisme allemand (pour aller vite, on est d'accord). On reste sur cette sensation de légèreté quand s'ouvre le quatrième mouvement, avec dans la première minute ses célèbres pizzicati qui nous offrent un moment du pure magie en dialoguant de gauche à droite et réciproquement. Transcendant. Cela m'a ramené directement à la passacaille du trio de M. Ravel juste après la fin du crescendo quand le violon et le violoncelle dialoguent à deux, sans piano. Rien à voir, certes, à part cette sensation d'un dialogue profond, attachant. A 2'50'', premier appel des cuivres, normalement puissants. Ici, ils restent sages. Joués piano. Zarbi. Idem à 4'. Nouvel appel des cuivres. Limite piano. Frustrant et magique à la fois... un tour de force... tant de sérénité là où elle n'est pas sensée y être chamboule. 4'36'', le célèbre passage de ce dernier mouvement, celui qui coule tout seul aux cordes frottées et pincées seules. Comme une chanson genre le petit bonhomme en mousse, une fois dans la tête on ne peut s'en défaire. Là, il faut se souvenir de Schubert et Beethoven et chanter. Pari réussi. C'est joué droit et très enjoué, tempo allant, le cœur est empli de joie comme dirait le pape. Puis c'est la libération et Dorati lâche doucement les chevaux, les percussions se mettent à parler elles aussi! Enfin! En fait, on ne peut même pas dire qu'il lâche les chevaux et envoie le bois. Ce qui est certain, vu cette paix ressentie, c'est qu'il cherche un orchestre et un chant totalement équilibrés dans TOUS les pupitres à la fois. C'est donc bouleversant, même si encore une fois il n'y faut pas chercher la virulence brahmsienne, "le sang" comme je l'appelle toujours (marque déposée). On avance gentiment avec un retour super tranchant des cordes et notre esprit habitué se met à attendre le moment M, celui où les cuivres poussent leur grand cri et appellent au tutti. 14'16''... Le moment M. Ah OK d'Jo, c'était ça que tu mijotais avec ton orchestre, kleine coquin! Les percussions deviennent sèches, puissantes et d'une redoutable clarté. Tout s'ouvre. Tout respire enfin. C'est bête, mais c'est comme un accouchement. Les autres musiciens se lâchent bien leur mère aussi jusque 15'16'', peu avant la fin. Bref, toute une symphonie concoctée de main de Maître, une pensée tendre, douce et romantique peu habituelle, plus proche de Schumann que de Brahms même, dans cette symphonie bien puissante; une vision donc très très à part, où tout est fait comme s'il fallait préparer cette incroyable minute de puissance furieuse qui du coup nous envoie au tapis. Ca peut ne pas plaire (à ceux qui trouvent que le requiem de Brahms est léger dans son orchestration

), moi j'ai adoré.
- symphonie n°3: Parfaite. Le célébrissime troisième mouvement est simple, sans fards. Que l'on m'excuse, mais Dorati ne dandine pas des fesses hein... pour rester poli quoi.
2° Brahms, symphonies 4 par Dorati en 1960, avec le LSO.
Pour mon goût personnel le premier mouvement de cette symphonie, dans son début, ses premières mesures (répétées trois ou quatre fois sur le mouvement), est l'un des plus beaux geste musicaux de tout le répertoire. J'utilise le mot "geste" à dessein. C'est le mot le plus adapté que j'ai pu trouver. La musique coule toute seule, elle vibre, elle est une évidence qui appelle à un apaisement total, ou alors, selon l'humeur, à respirer fort... c'est physique, on n'y peut rien, on inspire fort beaucoup d'oxygène. Dorati n'est pas brumeux (dans le sens des brumes de l'Allemagne du Nord) comme l'est Kleiber (la version référence quoi). On est ici plus dans le soleil que dans la brume. Mais cela marche bien. Pour un peu, pendant ce mouvement, on se surprendrait à penser à La Moldau. Encore une fois, Dorati rend Brahms plus romantique qu'il ne l'est! Avec de très belles nuances, un orchestre impeccable travaillant soigneusement les différences en p et pp etc... On arrive tranquilou au 4ème et dernier mouvement. Cela commence donc avec des pizzicati pendant presque une minute, piz ici encore très travaillés, tout en nuances, articulations et dialogues. Mais voilà, on s'est installé dans une routine romantique (j'insiste), des sons doux et chauds, et un quasi refus de faire appel à toute forme de puissance. On a baissé sa garde. Et là, à partir de 55'', prend ça dans la poire, impie affalé dans ton confort, celui de ton fauteuil et celui de l'interprétation. Le fameux passage aux cordes seules commence. Ce n'est plus de la musique. C'est une fracture, un gouffre, c'est un démiurge comme Karajan sous amphétamines qui joue cette partie. Piloérection de 100%, gifle affolante tant les cordes malaxées donnent tout ce qu'elles ont de soyeux et de puissant. Fallait pas t'endormir Bébert car là t'es limite à chialer. Ah, ces Berliner! Ah ben non tien, c'est vrai, c'est le LSO des années 60 qui joue, là. Rien à envier aux pupitres de cordes et au legato de Berlin... On aura aussi droit dans ce 4ème mouvement à quelques fulgurances d'anthologie, comme le solo de flûte traversière à partir de 3', qui nous angoisse plutôt qu'autre chose.
3° Dvorak symphonie 9, 1960 & Sibelius, symphonie 2, 1959, Paul Paray, orchestre de Détroit
- Dvorak, symphonie du nouveau monde: dans les premières minutes de l'écoute, tout mélomane honnête avec lui même (si si) passe par différents stades de délirium: P'taing, ces graves et ces percus, c'est Fritz Reiner? Mais non, ces attaques très franches et ce couteau de boucher hyper affûté, c'est Kubelik bien sûr! Ah mais non, l'articulation et le phrasé... un truc comme ça ça ne peut être que du Fricsay... Bref, on ne sait plus ni quoi ni qu'est-ce, à part qu'on est dans la stratosphère d'une interprétation qui aurait pris le meilleur des meilleurs. Finalement, dès ces interrogations et comparaisons passées, on se dit qu'il s'agit juste là d'une interprétation à l'équilibre parfait! Le mot n'est pas usurpé, croyez-moi. Le tempo est allant, c'est très prenant et totalement jouissif. Par exemple, le hautbois sur 2'40'' est décidé comme un taureau, il marque le rythme sur l'ouverture du thème principal. Arf, ce premier mouvement continue allant, toujours vif et décidé. Il y a même une urgence folle vers 4'45'', on la ressent physiquement, cela ne dure que 15'', mais elles sont folles d'urgence. A 7', les cuivres de malade s'enchaînent sur une articulation forte et un tempo accélérando. La fin à 7'50'' fait froid dans le dos. Sur le second mouvement, pas mal d'interprètes de haut rang tombent parfois dans une rêverie un peu too much pour moi, qui conviendrait mieux aux passages cordes seules du 2ème mouvement de la 4ème de Tchaïkovsky. Là, c'est très simple, c'est juste joué droit. Comme si on regardait un beau couché de soleil mais avec une bonne brise qui nous maintiendrait alertes. Le 3ème mouvement est à l'image du premier, c'est allant à souhait, tranchant, avec des percussions de rêve. Le 4ème mouvement est, encore une fois, TRES décidé! C'est Zeus qui nous parle depuis son olympe, c'est Bruckner caché derrière un arbre. En plus c'est marrant, Paray a placé des cordes graves à gauche de ses musiciens aussi: sensation que les basses viennent de partout, aussi bien de la droite de l'orchestre que de la gauche. Très réussi! Les cuivres de ce mouvement que tout le monde connaît sont à la fois ronds et vifs. Et les cordes jouent du scalpel. Un déchaînement sonore de 7'30'' à 8'15'' laisse place au decrescendo qui précède le crescendo tutti de l'apothéose finale. On finit sur la corde, bien sur les dents. A y'est, j'ai trouvé "ma version" de référence.
- Sibelius symphonie n°2: le premier mouvement est comme une bonne B.O. de film. On s'amuse sur des techniques pas pensables d'orchestres de haut vol, comme vers 2'50'' avec un accélérando sur des cordes parfaitement déliées. Le 4ème mouvement, à coup sûr le plus fou de cette symphonie la plus connue et jouée du Finlandais, est idéalement placé dans un esprit de tournoiement. Cela attaque joliment, c'est franc du collier, tout en laissant une place à une certaine forme de contemplation. Sur le début du tournoiement des cordes à 8'30'', les autres instruments, dont les bois, si centraux dans la musique de Sibelius, vont juste tout droit sans réfléchir un instant, c'est glaçant tant d'obstination dans une telle frénésie orchestrale. C'est allant avec DE L'URGENCE. Si Reiner avait enregistré cette symphonie, je pense que l'on aurait eu le même genre de résultat. Franchement cette seconde de Sibelius se place sans soucis aux côtés des meilleurs, comme Dudamel, Davis avec Boston, Storgards avec la BBC, manque juste une pichenette pour se retrouver dans les cieux avec Davis / LSO. Pour moi, même si je sais que c'est très personnel, dans cette seconde de Sibelius TOUT se mesure à l'aune de G. Szell avec son Cleveland en live à Tokyo en 1970, deux mois avant sa mort. Il le savait, que c'était la fin du chemin, Szell. Alors il se livre, personnellement. OK, on pourrait citer de meilleures interprétations que celle-ci si l'on analysait les choses en mélomane compulsif ou en critique de disques écoutant partition sous les yeux. Mais si l'on écoute ce Szell à Tokyo avec son cœur uniquement, et en oubliant sa mémoire, nulle part on ne trouvera autant de soleil sur un lac au milieu d'une forêt Finlandaise, nulle part on ne trouvera autant de paix, nulle part on ne se trouvera au milieu d'une sorte de bizarre requiem apaisé. Et bien Paul Paray se mesure à ce Szell qui m'a mouillé les yeux alors que je faisais la queue au Mc Drive, me rendant ridicule au moment de payer mon menu Mac Do. Comme Szell, rien n'est totalement parfait, on peut trouver plus absolu, disons plus énergique (je citais Davis/LSO), mais on aura des difficultés à trouver autant de poésie...
Le coffret: y'a bon!