... Mais cela ne m'empêchera de bavarder à propos d'une vieillerie de 1968 signée d'un grand jazzman...
Outre deux excellentes sessions enregistrées en 1963,
Inventions & Dimensions et
My Point of View, La discographie de Herbie Hancock est dominée, dans les années 1960, par trois albums marquants :
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Takin’ Off (1962), premier disque enregistré pour Blue Note par un jeune prodige de 22 ans, avec le très fameux « Watermelon Man », que chacun connaît ;
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Empyrean Isles (1964), enregistrement avec tes thèmes plus exigeants (« The Egg »), mais avec une perle de groove d’influence caribéenne : « Cantaloupe Island » ;
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Maiden Voyage (1965), peut-être le disque le plus connu de Hancock, avec, en points d’orgue, « Dolphin Dance » et le titre éponyme de l’album, « Maiden Voyage ».
Ce sera le dernier album enregistré pour Blue Note durant les trois années suivantes, puisque Herbie est désormais presque entièrement accaparé par l’aventure du second quintet de Miles Davis et les enregistrements que le quintet réalise pour Columbia à un rythme soutenu.
Pris dans leur ensemble, ces cinq disques révèlent l’étendue de la palette dont dispose Herbie Hancock pour donner vie à sa musique : des formations variées, des inspirations multiples à travers lesquelles son style – percussif et syncopé – s’affine progressivement, tandis que ses avancées vers une avant garde parfois pointue apparaissent dès
Inventions & Dimensions.
D’une certaine manière, cette volonté d’expérimenter, cette impératif de changement, d’évolution préparent le terrain aux albums postérieurs de la période Warner Bros. puis Columbia, dès décembre 1969. Ce n’est certes pas le Hancock que je préfère, mais on ne peut nier la grande fertilité de sa création musicale et sa capacité à capter et à agglomérer des influences, des genres et des styles dans l’air du temps (free jazz, funk, soul, etc.).
Mais cela n’empêche pas Herbie de revenir dans le giron de Blue Note en 1968 pour un disque à découvrir, ou à redécouvrir absolument :
Speak Like a Child (BNST 84279).
Le contexte musical et les années 1960 finissantes laissent penser qu’un disque enrichi d’instruments électriques, de funk, de rock ou encore de free serait à l’ordre du jour. Avec quels ingrédients, quels épices Hancock allait-il donc mitonner son sixième Blue Note ?
L’avant-garde vous laisse de marbre ? Les errements cacophoniques du free-jazz vous déroutent, voire vous gonflent carrément ? Le jazz-funk vous assomme ? Et bien… soyez tranquilles ! Il n’y a rien de tout cela dans cet opus ! En ce sens, ce disque est une surprise. J’y vois comme un retour vers le be-bop modal de
Takin’ Off enregistré six ans auparavant…
En quelque sorte, le jeu caractéristique de Herbie, très percuté, tend à passer au second plan pour laisser la place à une fluidité retrouvée, un swing moins rythmique, plus mélodique, lequel s’accorde à merveille avec un univers plus enfantin (mais non point puéril), plus optimiste dirait-on, que quatre des six thèmes du LP original propose : « Speak Like a Child » ; « First Trip », dû à la plume de Ron carter ; « Toys » et « Goodbye to Childhood ». En ce sens, il y a une sorte de prolongement de
Maiden Voyage, dans lequel on trouve un sens mélodique plus abordable, plus « catchy ».
C’est la sonorité, la couleur des thèmes plus que leur construction qui paraissent mises en valeur par le jeu d’harmonies, davantage au service de la mélodie que des accords choisis.
De la sorte, il ressort de ce disque un sentiment de plénitude, une sensation de swing plus pétillant, que les thèmes aux titres plus menaçants tels que « Riot » ou « The Sorcerer », originellement composés pour Miles Davis, ne parviennent pas à enrayer. Au contraire, peut-être.
L'odeur de naphtaline ne fait pas non plus partie de ce disque car il ne faut pas négliger la capacité de notre pianiste et compositeur à toujours s'exprimer dans un langage renouvelé et, cette fois, très épuré.
Bref, j’adore ce disque, et je voulais simplement le partager...
