
J’ai pourtant la faiblesse de penser que plus on s’approche de la réalité ou plus précisément de la source d’enregistrement, plus les gens vont tomber d’accord : ils sont bien obligés de choisir lorsque cela ne marche pas et c’est en cette occurrence que les goûts et les couleurs reviennent au galop. Il y a bien sûr toujours des exceptions mais pour la majorité des gens qui aiment la musique il me paraît impensable qu’une expression naturelle des instruments ne soit pas la source d’une émotion majuscule.
Cela pourrait être intéressant de pouvoir discuter sur une œuvre commune et cela quelque soit la source, qu’elle soit numérique ou analogique. La difficulté est de trouver une musique qui pourrait convenir pour l’exercice. J’ai pensé qu’une musique avec un seul instrument serait plus facilement reconnaissable pour son évidence naturelle : si c’est en place pour un seul instrument c’est que l’enceinte acoustique est cohérente et par voie de conséquence ce sera en place pour la symphonie des Mille de Mahler ! Après, il s’agissait de trouver quel instrument. Bien sûr, la cohérence se reconnaît avec n’importe quel instrument mais le but est que ce soit le plus facile possible. Le plus simple me paraît un piano de concert. C’est un instrument qui percute et il s’étale sur presque toutes les octaves. Il « envoie » des transitoires très impressionnantes et la moindre petite erreur de cohérence est plus facile à déceler sur le marquage temporel des transitoires, signes caractéristiques des percussions. Il y a beaucoup de détails chronologiques sur une note de piano qui ne facilitent pas la cohérence d’une enceinte acoustique : la préhension de la touche, le temps que met la mécanique jusqu’à la percussion du marteau et l’énorme transitoire qui en découle. A cela s’ajoute d’autres détails qui apportent leur part de crédibilité à l’instrument : chaque marteau est recouvert d’une feutrine, on retrouve ce dénominateur commun sur toutes les touches. Les premières harmoniques après le choc violent du marteau sont celles de la corde frappée, le cadre en métal à lui aussi ses harmoniques particulières. Ensuite, la charge du corps du piano engendre les harmoniques liées à la matière et à la forme de l’instrument.
La lisibilité est déjà complexe avec un instrument, même beaucoup plus simple qu’un piano. Sur un ensemble orchestral il y a un gros risque avec les erreurs temporelles de ne pas pouvoir s’y retrouver dans les appréciations, d’où cet exercice qui consiste simplement à apprécier la crédibilité d’un instrument. On connaît plus facilement si un instrument est crédible ou pas (s’il existe sur Terre ou s’il a été « fabriqué » artificiellement par l’enceinte acoustique). Le piano présente l’avantage pour cet exercice de s’étaler sur tout le spectre ( une voix est bien sûr très intéressante aussi mais c’est un peu plus difficile dans la mesure où elle ne sollicite pas autant d’octaves, par contre ce serait l’exemple parfait pour vérifier la fluidité par exemple ), la palette de dynamique possible sur un piano de concert est énorme. En dernier j’ajouterai que nous disposons d’un dialogue musical main gauche / main droite sur un même instrument sans qu’il y ait des soucis de phases acoustiques, du moins il ne devrait pas y en avoir !
Je propose d’écouter ensemble le premier morceau du disque d’Agnès Obel qui s’appelle Philharmonics. L’enregistrement se fait quasiment dans le piano, on entend tous les sons qui sont émis par l’instrument, la dynamique est énorme et la lisibilité main gauche/main droite requiert une parfaite cohérence temporelle et un parfait équilibre dans les différents registres. Je ne rentre pas dans les détails, ce sera à vous de me dire comment vous percevez l’instrument ! Cela pourrait être sympa d’en discuter, n’hésitez pas !