Steven Wilson - Hand. Cannot. Erase.

Avec Hand.Cannot.Erase. Steven Wilson nous offre l’un des meilleurs disques de son catalogue, toutes époques confondues. Aussi incroyable que cela puisse sembler pour un homme qui nous a déjà présenté une kyrielle de merveilles au cours des 20 dernières années.
Avec son album précédent, « The Raven », le génial binoclard a prouvé qu’il était capable de diriger une formation composée de virtuoses provenant d’horizons très différents. Le résultat s’était révélé impressionnant. Audacieux. Extrêmement technique.
Mais aussi un peu froid et sur-intellectualisé.
Un reproche que l’on ne peut plus faire ici. Ce coup-ci, Wilson est parvenu à insuffler humanité et chaleur à son super groupe, sans trahir sa démarche. Son truc ? Ne plus laisser la complexité des compositions prendre le dessus et redonner la place qui leur revient de droit aux mélodies.
Car Wilson s’est souvenu qu’en plus d’être un excellent compositeur/producteur/musicien, il était aussi un formidable mélodiste. Qui a oublié Stars Die ou Lazarus ? Qui peut nier la richesse des premiers Blackfield ?
Eh bien, Hand regorge de mélodies typiquement wilsoniennes comme on les aime, enchainées au gré d’arrangements sans cesse renouvelés. Avec des moments particulièrement forts comme Perfect Life, l’histoire nostalgique de l’amour liant deux sœurs racontée par Katherine Jenkins sur fond d’electronica, aboutissant au terme d’un crescendo extatique à un chœur aérien. Ou encore la petite perle (presque) acoustique Transience, en parfait contraste avec les autres compositions. Sans oublier les passages magistralement interprétés par la chanteuse Ninet Tayeb dont la voix apporte de nouvelles nuances à un panorama instrumental qui paraît désormais sans limites.
Et puis on trouve aussi ici quelques morceaux de bravoure dans la lignée de grandes compositions épiques comme Arriving Somewhere/Anesthetize. Notamment Ancestral, un brûlot dépassant les 13 minutes, enchaînant passages funèbres enluminés par la flûte limpide de Theo Travis, envolées romantiques grandioses, et riffs crimsonniens rageurs.
Wilson a en outre parfaitement rendu justice au thème qu’il s'est choisi pour ce nouveau concept album.
À chaque instant on peut vraiment établir un lien avec l’histoire pathétique de Joyce Carol Vincent, cette jolie anglaise, appréciée par ceux qui la connaissaient, dont le cadavre a été retrouvé au bout de deux ans à son domicile, devant un téléviseur toujours en fonctionnement, entouré de cadeaux de Noël qu’elle venait d’emballer avant de mourir...
Une formidable parabole pour les thèmes d’isolement et d’aliénation qui ont toujours tenu à cœur au musicien.
Quant aux styles abordés dans les compos, on peut dire que Wilson a puisé dans tout son passé musical, des éléments ambient de Bass Communion, à l'électro-pop de No-Man, en passant par la pop de Blackfield et les délires techniques du regretté Porcupine Tree. Sans oublier les étapes franchies avec brio au cours des trois précédents albums solos.
Bref, ce disque est à la fois beau, sensible, maîtrisé, émouvant et riche d’une infinie diversité musicale. Le tout servi par une production et une qualité sonore dignes d’une démonstration de haute fidélité (vous avez dit Dark Side?).
Pour moi, cet album n’a qu’un seul minuscule défaut : il relève encore trop d’un certain classicisme « Prog ». Wilson n’a en effet pas su (voulu) s’abstraire complètement de certains clichés datés: solis de Moog ou d’orgue Hammond, nappes de mellotron, rythmiques martelées staccato, chorus de guitare lyriques hyper seventies (même si, là aussi, l'éclectisme est de rigueur). Je le regrette un peu, parce que le grand Steven est capable de dépasser les conventions et de se réinventer constamment. Or, tant qu’il restera enfermé dans un idiome passéiste, il sera inévitablement négligé par les snobinards sourdingues de la « bonne presse spécialisée branchée » (Inrocks/Rockn’Folk/Libé).
Remarquez, mon reproche n’en est pas vraiment un. Car, franchement, peut-on reprocher à un artiste de posséder une palette qui lui soit intimement personnelle ?
Surtout quand il vient de sortir, comme ici, une de ses plus éclatantes réussites.