SDG a écrit :pour Ludwig van : ses dernières œuvres ne sont plus romantiques pour deux sous. Lui aussi était sur une autre planète...
OK il était sur une autre planète, voire dans une autre galaxie.
Par contre je fais partie des gens qui pensent que même dans les dernières œuvres de l'année de sa mort, même dans celles des 5 à 10 dernières années, Beethoven est vraiment un pré romantique, tout comme Schubert. Bref, là, toi et moi ne voyons pas les choses de la même façon. Et c'est tant mieux, ca permet de causer (surtout quand ses enfants sont chez leur mère et que le manque fait qu'on va voir des copains ou qu'on écrit sur ce fofo pour passer le temps
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)
Bon, je m'explique.
Je pense que tout débat (même bon enfant entre non pros, comme ici quoi) doit commencer par se poser la question: "quels sont les grands traits qui caractérisent le Romantisme Allemand de la génération 1810?".
A cette question, il n'est pas faux de répondre, même si c'est incomplet:
- un intérêt nouveau des compositeurs pour le voyage. Ils se sont fait itinérants pour découvrir d'autres lieux, d'autres personnes. Pensez à Chopin en France où aux incessants voyages de Liszt dans beaucoup de pays (certains voyages donneront naissance, entre autre, aux Années de pèlerinage).
- une revendication nouvelle des compositeurs à oser "ouvrir leur cœurs", c'est à dire à donner à l'auditeur des accès à leurs propres intimités, à leurs propres sensations personnelles, et même à leurs angoisses personnelles. Leur musique traite donc souvent plus du fond que de la forme. Ils ne s'enquiquinent pas trop avec la forme (même s'ils la font évoluer ce n'est pas leur but premier) mais se cassent la tête pour composer des œuvres où le fond - comprendre leurs sensations propres - devient primordial. De ce point de vue, R. Schumann est assez représentatif de cette ouverture sans fards.
- une nouvelle proximité avec l'idée de la mort, qui nait avec les Romantiques, qui ne cachent pas leur fascination pour la finitude totale de l'homme (à part Liszt, je n'en connais pas, des Romantiques, qui croyaient en Dieu, du moins au point de concevoir une vie dans l'au delà). Cette fois, on peut penser à des Romantiques tardifs comme Tchaïkovski et Brahms dont l'appétence à "parler à mots cachés de la mort" est forte (4ème et 6ème symphonies de Tchaïkovski, sextuor op.18 de Brahms). Pour la génération 1810, Liszt ou Chopin parlaient de la mort eux aussi, et dans leurs musiques et dans leurs correspondances (écouter les dernières œuvres de piano de Liszt, bien éloignées de ses pétarades de virtuosité pianistique de jeunesse sans réel intérêt... pour exemple sa fameuse sonate en si est un cri à la Munch qui fait écho à la mort dans certains passages, même si la sonate dit bien autre chose aussi...).
- une envie nouvelle de parler de la nature, du ressenti du compositeur face à cette dernière (nombre de pièces pour piano de Schumann, de Liszt, les œuvres très "nature" de Smetana et de Dvorak et une spécialité chez le grand Mendelssohn (il suffit d'avoir en tête son ouverture des Hébrides... je suis allé en Ecosse et j'ai vu la grotte de Fingal, Mendelssohn la décrit très bien en musique)).
Voilà, j'ai volontairement réduit le propos sur ce qui me semble être les quatre points qui caractérisent le plus le Romantisme Allemand.
Donc maintenant, on peut mettre en perspective ces 4 points avec les musiques de Beethoven (et de Schubert, soyons généreux
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).
1° Le voyage comme vecteur d'une nouvelle inspiration musicale: Schubert n'est-il pas le Wanderer par excellence, le premier de tous? Wanderer fantaisie, Voyage d'Hiver, évocations de ciels purs dans sa 9ème symphonie etc... Quant à Beethoven, c'est moins net cet idée fixe du voyage typique des Romantiques, mais c'est parfois évoqué dans sa musique (je pense par exemple au cinquième concerto pour piano qui nous emmène vers l'ouest, ou à des sonates pour violon et piano qui montrent bien l'intérêt de Beethoven, ou plutôt sa curiosité, pour la Russie (sonate le Printemps, sonate à Kreutzer)).
2° le côté "impudique" des Romantiques de la génération 1810 et de leurs successeurs (Brahms) à ouvrir à l'autre leurs ressentis (et souvent leur tristesse) personnelles. Là je ne parles pas de Schubert, tant il est évident qu'il fut un parangon du "moi", dans le bon sens du terme (sa sonate en la majeur, l'avant dernière, ainsi que la dernière, sont clairement des appels à l'aide à autrui, il n'est en tout cas pas interdit de voir les choses comme cela). Quant à Beethoven, contrairement au ressenti de SDG, je pense qu'il est encore plus dans cette veine de s'ouvrir à l'autre à la fin de sa vie (pas étonnant avec ses obsessions humanistes) au niveau de ses émotions. Franchement, impossible de citer toutes les œuvres où il livre, tel un pur Romantique, son âme à l'auditeur, mais en voici quelques exemples parmi les plus frappants: 15ème et 16ème quatuors, sonate op. 110. De ce point de vue, je ne suis donc pas d'accord avec SDG qui ne voit rien de pré romantique dans les dernières œuvres de Beethoven. J'y vois au contraire une incise très nette vers le monde des Romantiques, à cause de la façon du dernier Beethoven de dire "allo?" aux auditeurs.
3° L'idée que la mort ça fiche les ch'tons et qu'il faut la mettre en musique, en l'évoquant, toujours de biais, mais en l'évoquant tout de même. De ce point de vue, Schubert est le compositeur qui a le plus dit "tu" à la mort. Alors passons, parce que c'est limpide, surtout sur la fin de sa vie. Quant à Beethoven, c'est moins flagrant que chez Schubert cette idée pré romantique de la mort, mais il l'évoque parfois à droite et à gauche, et cela n'échappera pas aux analyses de Mendelssohn, qui réhabilita Schubert et analysa Beethoven en détail. Je pense par exemple au célèbre second mouvement si plombant de la 7ème symphonie. Son neveu venait de mourir (un suicide si ma mémoire est bonne), et Beethoven a parlé de cela dans ce mouvement.
4° L'ode à la nature, fort présente chez nombre de Romantiques. Je me contente de citer la 6ème symphonie Pastorale de Beethoven, qui est carrément descriptive pour le coup! Il va là dedans encore plus loin que les évocations de la nature par les romantiques, et il faudra attendre les symphonies de Brahms (et certains passages plus précoces des symphonies de Schumann) pour retrouver cette façon de parler et d'évoquer la nature.
Voilà pourquoi je pense que Beethoven et Schubert son réellement des pré romantiques. C'est à dire pas encore des romantiques, mais des compositeurs chez lesquels on trouve énormément d'éléments, de thèmes centraux, sur lesquels rebondiront les Romantiques Allemands.
Désolé pour la longueur du message
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