groucho78 a écrit : ↑17 juil. 2021, 18:46
Oui un artiste peut avoir des problèmes, et alors !? Gould en avait certainement (n'était-il pas autiste ? )
+1
Mais c'est vrai que son cas est compliqué, dans le choix d'arrêter les concerts, je crois que ça mêle la psychologie, sa maladie mentale que Philippe a nommée, son sens de l'esthétique et sa propre philosophie. Ca fait beaucoup. En fait il a décidé d'arrêter les concerts quand il n'a plus su gérer sa maladie. Comme toute forme d'autisme, même légère, la relation aux autres c'était un enfer pour lui. Pendant longtemps il s'est forcé, il serrait la main (pour lui c'était terrible) et essayait de s'intéresser aux autres en discutant etc mais à un moment la maladie s'est faite plus virulente, il a commencé à voir des germes et des maladies partout, surtout sur les corps des gens. Il a mis ses fameuses mitaines pour toucher les gens puis n'a plus voulu les toucher du tout. Il a aussi, environ à cette période, décidé que rencontrer de nouvelles personnes, leur parler, échanger, était devenu trop, il en avait assez de se forcer et n'avait visiblement plus la force de continuer à souffrir de la sorte. Il a volontairement dit stop. Il a gardé des amis proches, même s'ils vivaient loin, comme sa cousine qu'il voyait comme une sœur, son agent, deux ou trois gars qui géraient les enregistrements, Bruno Monsaingeon, juste quelques personnes. Il pouvait les appeler à deux heures du matin et se lancer dans des monologues sans fin sans doute passionnants mais il ne se rendait pas compte que le temps passait et que son correspondant devait dormir. Bref, il a gardé un noyau dur et c'est tout. Par ailleurs, il a souvent dit que l'artiste sur scène et le public "en bas" créait une forme de hiérarchie qu'il n'appréciait pas (bon ça tout le monde le sait il en a souvent parlé) et, beaucoup plus important, il était un peu comme nous tous ici, audiophile en quelque sorte, et quand la stéréo est apparue, accompagnée des progrès de l'enregistrement d'un point de vue du rendu (les grandes années RCA, Mercury, DECCA, années 60 et 70 quoi) il a trouvé une sorte de cocon pour englober une obsession qu'il avait, l'un de ses principaux trait de caractère (commun aux Asperger) c'est à dire une forme de perfectionnisme extrêmement exigeant. D'ailleurs il l'a dit aussi "les moments de perfection sur scène arrivent mais ils sont tellement rares, l'enregistrement permet une perfection de l'interprète sur tout le disque" (ce ne sont pas ses mots exacts mais c'est ca). Vous savez surement qu'un disque de Gould ce n'était pas faire une prise par morceau, puis X autres prises sur le même morceau, et après on choisit la meilleure, et on passe au morceau suivant et ainsi le disque est prêt. Non, pour chaque morceau, chaque mouvement (même sa célèbre Aria des Goldberg de 1981) il gardait un bout par ci et encore un bout sur une autre prise, etc, si bien que chaque morceau individuel est le composite patchwork de mesures mises bout à bout en prenant ces mesure dans les X enregistrements. Ca devait être usant et pour lui et pour les techniciens, mais c'était son moyen à lui d'atteindre son besoin de perfection.
Bref, j'en reviens au début. Il a tenu aux journalistes les discours que j'exposais "le disque objet de perfection et la scène objet de rapports humains qui me mettent en inconfort", mais si on veut le fond du fond, le global, la raison complète, il y a en plus de cet aspect là, bien réel, un autre aspect - et selon moi le plus important dans cette histoire - qui a été son besoin de couper court à la grande majorité des contacts avec les autres, trop douloureux, devenus ingérables. Il a lui même évoqué ses angoisses au sens médical, angoisses qui montaient quand il devait parler à quelqu'un en face à face, et il est revenu là dessus un peu plus tard suite à un mot maladroit d'un journaliste qui avait écrit que Gould ne se promenait plus sans une valise remplie de médicaments... Gould, délicat et non dénué d'humour, a écrit dans je ne sais quel billet de je ne sais quel journal "Mr untel dit que je ne sors plus sans une valise pleine de médicaments, c'est très exagéré, ils ne remplissent qu'une valisette".
Un homme en souffrance psychique relativement intense et qui malgré tout a réussi à remplir sa vie d'un travail acharné qui restera dans l'histoire ne mérite pas une phrase telle que "An artist who doesn't show himself in public has a problem". Surtout venu de Ross.